
EN VUE
Louise Dormet, l’architecture comme langage des émotions
À seulement 24 ans, Louise Dormet affirme un style déjà singulier, entre rigueur fonctionnelle, esthétique émotionnelle et narration spatiale. Dans PALET, son projet de diplôme salué par le jury, elle fait dialoguer architecture d’intérieur et peinture, dans un vibrant hommage à David Hockney. Une immersion à travers l’art, la matière et la lumière.
De la brique à la lumière, entre ancrage et projection
C’est à Lille, à la croisée des influences épurées flamandes, du dynamisme londonien, ou de l’élégance parisienne, que Louise Dormet, originaire de la Mayenne, a choisi de poser ses bagages. Car la capitale des Flandres cultive une scène discrète, mais féconde dans l’univers exigeant de l’architecture d’intérieur et du design. Un subtil mélange entre la rigueur du Nord, l’héritage textile et son sens aigu du détail, et l’approche contemporaine d’une région qui a dû sans cesse se réinventer pour exister. Un terreau fertile pour les jeunes talents qui, comme Louise, cherchent à bâtir leur univers créatif, faisant de chaque espace une toile vierge au fil des projets.

Tout juste diplômée à 24 ans d’une école d’architecture d’intérieur, Louise poursuit son parcours, et regarde aujourd’hui vers Paris, hub incontesté de la création, pour affirmer sa signature et développer son talent artistique. À la recherche d’expériences dans différentes agences ou cabinets, c’est non sans l’idée, un jour, de fonder sa propre marque, qu’elle souhaite changer de ville. Mais en attendant les voyages qui lui ouvriront les portes de nouvelles visions esthétiques, et les successions de projets qui forgeront son élan créatif, qui est vraiment Louise Dormet ?
Mostra plonge au cœur de son univers singulier, au détour d’un projet marquant, à la fois fictif et concret, réalisé dans le cadre de l’obtention de son diplôme d’architecture d’intérieur. Salué par le jury et récompensé d’une mention, ce projet, baptisé PALET, interroge aussi une question profondément ancrée dans le territoire lillois : comment réinvestir le passé industriel local pour insuffler une nouvelle vie culturelle ?
PALET, un lieu à vivre et à regarder
Les plans d’une friche désaffectée à Wambrechies, à quelques pas de Lille, et une mission claire, en faire un lieu expérientiel autour de la gastronomie et de l’art. Voilà l’objectif qui a été confié à Louise pour son tout dernier projet. Dans un cocktail de briques rouges, entre patrimoine et village d’artisans, l’atmosphère contemplative de ce lieu semi-industriel est parfaite pour être le terrain d’expression de la créativité de la jeune architecte d’intérieur.
Alors comment donner vie à un bâtiment brut où les réseaux techniques sont à peine dissimulés, comme s’il refusait de se cacher derrière des faux-semblants, tout en respectant son identité ? Pour répondre à cette problématique, Louise s’est lancée dans la création d’un restaurant-galerie, en choisissant un artiste qui ne peint pas ce qu’il voit, mais ce qu’il ressent, à l’image du Britannique David Hockney. Figure majeure du pop-art, l’artiste a toujours le vent en poupe, malgré ses 88 ans, et est toujours à l’affiche d’une exposition à la fondation Louis Vuitton (du 09 avril au 31 août 2025). Et en dépit de son âge, il n’a cessé de se réinventer en étant proactif, et en s’adaptant subtilement aux évolutions technologiques qui dessinent les contours de la création artistique. C’est là toute sa force, qui fait écho à ce lieu en quête de renouveau. C’est cette énergie libre et cette vitalité que Louise Dormet a choisi de mettre en scène dans son projet, car à travers ses œuvres, David Hockney nous invite à voir le monde autrement, et chez PALET, l’art se vit, se regarde et se déguste.



L’architecture d’intérieur devient alors un support pour l’art, où tous les détails sont calculés, où tous les éléments sont mesurés. Tout est pensé pour faire écho à l’univers de l’artiste, à commencer par les couleurs et les matériaux, inspirés directement de ses peintures. Du bois teinté avec son vert profond, à la résine minérale couleur bordeaux, ou encore du grès cérame Winckelmans, clin d’œil au savoir-faire nordiste.
« L’architecture devient un tableau en trois dimensions, jouant avec les perspectives faussées, les couleurs franches, et les matières expressives comme une immersion dans une peinture vivante. L’ambiance n’est pas réaliste, mais émotionnelle, à l’image du regard subjectif de Hockney. »

Le niveau inférieur, baptisé « La Piscine », rend hommage au tableau A Bigger Splash (1967). Dans cette salle de restauration, le visiteur est plongé dans l’univers chromatique du peintre, à travers les matériaux choisis avec soin. Mais ce sont les détails qui rendent l’expérience plus immersive. Une échelle représente le plongeoir, et la grande ouverture entre le rez-de-chaussée et le sous-sol invite symboliquement le visiteur à plonger dans la piscine. Et quoi de mieux, finalement, que de penser cette salle aux différentes zones humides comme une pièce d’eau cachée sous les étages.
Dans PALET, chaque niveau raconte une histoire, et compose une ambiance. Au rez-de-chaussée, « Le Salon », un bar lounge qui accueille les visiteurs en préambule du restaurant-galerie. Le mobilier s’inscrit pleinement dans l’univers du peintre, au-delà des œuvres, mais jamais sans trahir son utilité.

L’étage supérieur quant à lui est évocateur, « La Galerie », une salle d’exposition de 18 couverts où l’on déjeune entouré d’œuvres, où l’expérience culinaire se vit comme dans un musée vivant. Chaque table est un point d’observation, et chaque plat est un prolongement de la scénographie.
Et pour clore la visite, un promontoire suspendu, « Le Balcon », offre une vue plongeante sur La Galerie, apportant une autre lecture des œuvres, un autre regard, un jeu de perspective qui incite le visiteur à revenir pour découvrir une nouvelle approche dans l’expérience sensorielle que propose PALET.





« On ne vient pas ici seulement pour manger, mais pour plonger dans un univers artistique, où les plats eux-mêmes deviennent des œuvres comestibles, inspirées des couleurs, textures et compositions du peintre. »
Un projet qui entre en résonance avec la patte de Louise : un renouveau contemporain, un travail subtil de la lumière, et une attention au détail où l’esthétique n’est jamais superflue.
PORTRAIT
Louise, ton travail dégage une vraie cohérence esthétique, quel est ton style, et quelles sont tes influences, dans l’architecture, mais aussi dans le design ?
J’aime beaucoup l’architecture moderne des années 1920 à 1940, notamment le Bauhaus, un mouvement qui est né en Allemagne, où la forme suit la fonction, et où il n’y a pas de détails superflus. Il y a un certain minimalisme qui procure un sentiment de simplicité, presque épurée, mais en réalité tout est hyper travaillé. Je pourrais citer bien sûr Oscar Niemeyer, une icône du modernisme, qui a fait le siège du Parti communiste à Paris, un bâtiment que je trouve particulièrement fort, ainsi que les travaux de Richard Neutra ou même Rem Koolhaas, qui prolonge un peu cette pensée moderne, tout en la déconstruisant.
Pour une référence un peu plus locale, j’aime bien ce que propose le studio SUPERSTAN à Lille, c’est vraiment inspirant.
Et côté design, je regarde beaucoup le travail de Pierre Paulin, pour ses formes enveloppantes et modernes, mais aussi Ettore Sottsass pour sa liberté sur les couleurs et les ornements. Sans oublier plus récemment les frères Ronan & Erwan Bouroullec.



Sur quoi aimes-tu le plus travailler sur un projet ? Qu’est-ce qui t’anime vraiment ?
Je dirais avant toute chose le travail qu’il y a en amont du projet, toute la veille artistique, rechercher les références des matériaux et poser les bases de l’univers créatif que je souhaite mettre en avant. Après, il y a aussi la maquette, c’est l’aboutissement physique du projet, et c’est là où on peut vraiment voir ce qui fonctionne ou ce qui fonctionne moins. Finalement, ce que j’aime particulièrement, c’est quand, à la fin, le concept du lieu soit retranscrit grâce à l’architecture d’intérieur, que l’on comprenne l’idée grâce aux plans, aux coupes et aux couleurs, donnant un rendu vraiment clair et limpide. J’aime quand le projet est hyper lisible, surtout auprès des personnes qui ne touchent pas forcément à l’architecture d’intérieur ou au design.
« Mon but n’est pas de suivre des tendances, mais de créer quelque chose d’intemporel. »
Tu sembles aimer concevoir l’idée et poser ton univers, comment justement, tu cultives ton regard ? Où vas-tu chercher tes références ? Et est-ce qu’il y a d’autres domaines artistiques qui t’inspirent ?
La curiosité, c’est d’abord essentiel quand on fait un travail créatif. J’essaie de développer mes références sur la pop culture, et, par exemple, j’aime beaucoup m’inspirer de l’univers des bandes dessinées, de l’art contemporain ou l’art graphique.
Ce qui m’anime, c’est d’aller voir des expositions, car on peut ressentir les prémices de la création, toutes les inspirations du créateur ou de l’artiste, jusqu’à son œuvre finale qui trône devant nous. C’est assez fascinant.
Et c’est pour ça que j’aime aussi l’univers de la mode, car pour moi, la construction d’un vêtement se rapproche de l’architecture dans la démarche et dans le processus de création. Les deux mondes corroborent, d’ailleurs, je pourrais citer Virgil Abloh, qui était architecte et qui est devenu styliste.
Et pour finir, le plus important, c’est de discuter avec son entourage créatif, des différents projets sur lesquels on travaille. Ça débloque des nouvelles idées, et ça nous apprend à nous remettre en question, pour essayer de ne pas trop partir dans tous les sens, et garder un certain fil rouge.



Si on se projette un peu, quel serait ton terrain de jeu rêvé ? Un lieu, une collab ou un format que tu aimerais explorer ?
Avoir l’opportunité de travailler sur la conception intérieure d’un hôtel. C’est un super terrain d’expression, car on est plus libre que pour du particulier. Là, on doit créer une expérience totale pour le client, qui doit être immersive et qui peut avoir un vrai impact sur son séjour.
Trust the process