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Le Kalm Village, quand l’artisanat réinvente la modernité
À Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande, un lieu unique concilie design, artisanat et culture dans une harmonie rare. Bien plus qu’un centre créatif, le Kalm Village incarne une autre vision du développement touristique, où traditions et modernité cohabitent sans se trahir.
Chiang Mai, la cité qui s’impose sans bruit
Au Nord de la Thaïlande, Chiang Mai, la “Rose du Nord” n’a rien de comparable à ses semblables. Pourtant deuxième ville du pays, celle-ci n’est pas la porte d’entrée du carrefour de l’Asie du Sud-est. Et si c’était là le secret de la cité ? Car pour la découvrir, il faut d’abord être passé par Bangkok, l’effervescente capitale aux quelque 200 gratte-ciel. Dans ce tumulte urbain, immensément loin de nos standards européens, Chiang Mai se murmure comme une prochaine étape, mais qui n’est pas encore au programme. Il faut d’abord s’imprégner de la capitale du pays, de son immensité, de sa chaleur suffocante, mais aussi de sa beauté moderne, tournée vers l’avenir, qui nous démontre qu’une ville peut-être ornée de bâtiments à la hauteur démentielle, tout en conservant son charme, sa spiritualité, ses odeurs, ou même sa nature. Une leçon d’urbanisme, malgré des températures bien loin de notre climat tempéré français.
Mais au bout de plusieurs jours, Bangkok épuise. Son gigantisme ne nous est pas familier, mais surtout, son bruit. Trop d’informations, trop de possibilités, trop de facilités, et trop de modernité. Notre esprit cherche alors à s’évader, et deux choix s’offrent à nous. Les îles paradisiaques du sud du pays, où la mer est d’un bleu azur, où la vie est facile quand on est touriste, et où le soleil est presque assuré de trôner sur son zénith en début d’année. On profite alors des paysages de carte postale pour lesquelles nous sommes venus, la vie est suspendue, la liberté est gagnée. Mais au bout d’un moment, nous sommes toujours à la recherche de quelque chose que l’on n’a pas encore trouvé, même si on ne sait pas l’expliquer. Le bruit est toujours présent, et le manque d’authenticité nous questionne. Ces îles sont magnifiques, certes, mais elles pourraient très bien se situer n’importe où sur le globe, et le point d’ancrage pour lequel nous sommes partis n’est pas comblé. C’est alors que la deuxième possibilité s’offre à nous, rejoindre le nord du pays, direction cette ville qui se murmurait depuis le début, Chiang Mai.
Arriver à Chiang Mai, c’est reconnecter avec quelque chose que l’on avait perdu, le calme, et la sérénité. Les journées sont chaudes, mais les nuits sont douces, les rues sont remplies, mais elles ne font pas de bruit. Vos sens peuvent enfin se reposer. Et pourtant, la beauté est présente. D’abord, la nature, la ville est située dans une vallée entourée de montagnes, offrant des points de vue somptueux. Mais aussi son histoire, et les remparts millénaires qui ceinturent la cité, comme une barrière entre l’ancien monde et le nouveau. Mais surtout, Chiang Mai est accueillante, presque familière sans qu’on comprenne pourquoi. Et pourtant tout y est, la vieille ville a tous les codes de nos standards européens, avec la beauté architecturale, les rues piétonnes, les commerces, les restaurants, les galeries d’art, les temples, le tout dans la culture thaïlandaise authentique, que nous sommes venus chercher. Cette ville n’est pas plus spirituelle que ses comparses du sud, mais ses temples semblent plus authentiques, présents pour les habitants plus que pour les touristes. À Chiang Mai, ce sont les visiteurs qui se font discrets pour ne pas déranger les coutumes, là où dans le reste du pays, ce sont les locaux qui se mettent en retrait pour ne pas déranger les touristes.
Le Kalm Village, le sanctuaire créatif de Chiang Mai
Chiang Mai séduit chaque année de nombreux visiteurs. Ancienne capitale du Royaume de Lanna, cette ville demeure aujourd’hui un haut lieu de l’artisanat asiatique. C’est dans ce contexte qu’est né en 2021 le Kalm Village. Imaginé et conçu par Achariyar Rojanapirom (Co-fondatrice & directrice créative), et son frère Araya Rojanapirom (Co-fondateur & manager opérationnel), à travers le cabinet familial d’architecture Urban Architects Co, ce lieu est un centre d’art, d’artisanat et de culture, qui se veut être un véritable espace communautaire, destiné à valoriser les savoir-faire ancestraux qui font la richesse de la ville.
C’est au sud du centre historique, à deux pas des remparts, que se niche le Kalm Village. Au détour des ruelles étroites, parmi les parfums de fleurs et d’encens, apparaît cette façade en bois majestueuse, reconnaissable grâce à ses motifs de vannerie traditionnelle en osier. Le lieu s’articule autour de neufs espaces distincts, répartis sur trois étages, et reliés par des passerelles, avec en leur centre deux cours. Conçu dans la plus pure tradition thaïlandaise, chaque espace a une fonction bien définie, et chaque maison raconte une histoire, dans un mélange de style alliant l’architecture traditionnelle Lanna et les influences contemporaines asiatiques. Partout, dans le bâtiment, on retrouve des briques faites à la main et du teck recyclé, issu de vieilles maisons abandonnées.

Au troisième étage, le pavillon se dresse vers le ciel, contemplant majestueusement la «Rose du Nord», et offrant une vue imprenable sur le Wat Chedi Luang, l’un des plus anciens temples de la ville. Le pavillon a été conçu par l’artiste Uncle Mit, avec sa charpente en bois fabriquée selon les techniques d’assemblage traditionnelles, et remplie de verre. Cette véritable tour honore le travail des anciens artisans, symbole de la sagesse du pays.


Le textile occupe une place centrale au sein du Kalm Village. Une salle lui est entièrement dédiée, la Kalm Archive, où sont exposés des tissus provenant de toute la Thaïlande, et issus de la collection personnelle de la mère d’Achariyar et Araya. Ces étoffes reflètent les nuances de la vie quotidienne de celles et ceux qui les portaient. On y retrouve les tons de la poterie, terre cuite et bruns chauds, mais aussi une profusion de couleurs vives, allant du rouge profond au bleu indigo. Cet espace rend hommage à l’accent que mettent les Thaïlandais du Nord sur leur apparence, qui nous semble plus élégante et raffinée que dans le sud du pays.
Une collection de vêtements est également proposée à la vente dans la boutique Lifestyle Store, avec de très belles pièces en lin, fabriquées avec des processus naturels.
La vocation du Kalm Village est de faire de Chiang Mai un creuset créatif, un hub pensé pour que les artisans rencontrent les designers, locaux et internationaux. Ici, l’art et le design occupent une place importante. L’accent est mis sur l’innovation, mais dans le respect des techniques traditionnelles, pour faire perpétuer le savoir-faire. C’est dans cet esprit qu’a été conçue la Kalm Gallery, où se côtoient les œuvres d’artistes émergents et celles d’artistes reconnus, comme les boiseries du professeur Inson Wongsam, un artiste national de la province de Lamphun. L’architecture elle-même devient art au sein du Kalm Village, à l’image de l’escalier en colimaçon en bois, œuvre de l’artiste Uncle Mit, et ne possédant aucun clous, reposant uniquement sur des cales en bois. Une prouesse technique héritée du savoir-faire intergénérationnel.
Certaines expositions proposées au Kalm Village sont marquantes, à l’instar de l’œuvre After The Harvest, une installation éphémère qui a rempli la cour de rizières dorées, symbolisant la fin des récoltes pour les villageois. Le mobilier quant à lui est également pensé comme une vraie composante artistique du lieu. Il comprend notamment les meubles de la marque Moonler, qui travaille le bois d’arbre à pluie, et les créations du designer Robert Sukrachand, fruit de collaborations étroites avec des artisans locaux. Dernier-né du site, le Museum of Makers, un espace d’exposition inspiré du travail de la Fondation Loewe, qui établit des liens entre les artisans traditionnels et les avant-gardistes de la création.




Le Kalm Village consacre aussi une large place à la gastronomie thaïlandaise, à travers le Kalm Kitchen et le Kalm Café. Chaque menu rend hommage aux recettes de la grand-mère des fondateurs, lorsqu’ils étaient petits. À la carte également, une sélection de boissons aux bienfaits médicinaux, servies dans un décor célébrant l’abondance, symbolisé par les motifs des carpes jumelles, emblème de prospérité.
Si vous passez par Chiang Mai, le Kalm Village est un endroit incontournable. Le temps semble suspendu, et vous y restez sans que vous ne sachiez vraiment pourquoi, tout en contemplant les gens élancés dans un formidable esprit créatif et une quiétude presque palpable.
Chiang Mai, l’exception Thaïlandaise
Mais alors, qu’est-ce qui fait que Chiang Mai retient autant notre œil de touriste, qu’on ait une appétence pour l’art ou non. C’est sûrement son contraste avec le reste de la Thaïlande qui nous interroge. Le sur-tourisme développe considérablement le pays, ainsi que son niveau de vie, mais à quel prix ? L’authenticité semble y être bradée au profit de la modernité, et aujourd’hui l’ancien Siam n’est plus une destination que l’on choisit pour sa culture, mais pour son attractivité et ses activités. Et c’est là tout le défi auquel est confronté la Thaïlande, et plus globalement l’Asie du Sud-est. Regarder vers l’avenir et la modernité, en s’adaptant à une demande mondiale de plus en plus dévorante, quitte à renier ce qui a fait son charme, ou regarder vers le passé et avancer avec frilosité, avec le risque de se transformer en villes musées, comme le piège dans lequel la France et le Vieux Continent semblent s’être pris les pieds.
Chiang Mai semble avoir trouvé un fragile mais précieux équilibre, regarder vers l’avenir sans tourner le dos à ses racines. Le Kalm Village en est peut-être l’un des plus beaux symboles, un lieu où l’on crée sans bruit, où l’artisanat vit au rythme des générations, et où l’on comprend, sans même y penser, pourquoi l’on est venu jusqu’ici.